Par le Dr Pierre Huc, neuropsychiatre et électroencéphalographiste, et le Prof. Brigitte Vincent-Smith, spécialiste de didactique des langues étrangères secondes, respectivement Président et Vice-Présidente de l’Institut de Neurodidactique International (INI).
Les enseignants savent-ils que notre cerveau est doté de 100 milliards de cellules nerveuses, les neurones, reliés entre eux par des millions de milliards de connexions, les synapses ? Chacun de ces neurones dispose, en effet, de plus de 10.000 contacts et cet immense maillage parcouru par des courants d’action contrôle toutes nos fonctions, conscientes ou inconscientes. Une centaine de substances chimiques, les neurotransmetteurs et les neuromodulateurs, sont sécrétés en outre par les neurones et ne s’adaptent que sur des récepteurs spécifiques comme une clé sur une serrure.
Nous ne pourrons peut-être jamais comprendre totalement le fonctionnement du cerveau humain, plus complexe que l’univers lui-même ; un univers qui reste minéral et inexpressif, si complexe soit-il, et qui, sans l’homme, ne saurait même pas qu’il existe.
Les sciences cognitives explosent cependant grâce aux progrès fulgurants de la génétique, de la biologie moléculaire et des techniques d’exploration du cerveau (électroencéphalographie, potentiels évoqués et imagerie cérébrale fonctionnelle). Nous pouvons dorénavant voir notre cerveau penser, réfléchir, parler, calculer, enseigner et apprendre…
Notre siècle sera celui du cerveau : la Suisse héberge à Lausanne un centre de recherche, le Human Brain Project, au budget de 10 milliards d’euros sur dix ans, auquel collaborent 26 pays européens. Les États-Unis développent de même le programme Brain Iniatitive. En France, le Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) abrite Neurospin, qui dispose de l’appareil d’imagerie cérébrale fonctionnelle le plus puissant du monde. Conçu et dirigé par Denis le Bihan, neuroradiologue et physicien nucléaire, ce centre a permis à Stanislas Dehaene, du Collège de France, de mener ses travaux sur les neurones de la lecture.
La neuroéducation consiste à adapter au mieux nos méthodes pédagogiques en fonction de l’activité naturelle de nos fonctions cérébrales. Elle n’est concernée en rien par la neurostimulation qui recoure à des méthodes physiques ou chimiques pour tenter d’améliorer nos performances cognitives.
Les recherches actuelles ont approfondi nos connaissances sur la plasticité cérébrale, le connectome et les neurones miroirs, trois acteurs majeurs de l’apprentissage.
La Plasticité cérébrale découle de la capacité du cerveau à remodeler tout au long de la vie, même tardivement, les réseaux de cellules à l’origine de toutes nos activités. Le cerveau est en perpétuel changement : il produit de nouveaux neurones ou en détruit, il établit de nouvelles connexions ou en supprime et peut ainsi apprendre et mémoriser.
Le connectome (terme pendant de génome) correspond à ces réseaux de neurones qui contrôlent nos pensées et nos actions et dont le fonctionnement semble d’une complexité inouïe. Son décryptage et sa compréhension restent de véritables défis pour les neuroscientifiques.
Les neurones miroirs, découverts par Giacomo Rizzolatti, sont des cellules très spécifiques, réparties dans diverses régions du cerveau, qui fonctionnent aussi bien lorsqu’un individu exécute une action que lorsqu’il observe, ou imagine, une personne exécuter cette même action. Les courants d’action enregistrés chez l’observateur sont alors les mêmes que ceux enregistrés chez l’exécutant. Ces cellules très particulières jouent un rôle majeur dans l’apprentissage par imitation, dans les processus affectifs, tels que l’empathie ou l’antipathie et dans la relation enseignant/apprenant. Peter Brook, dramaturge et metteur en scène britannique, ami de Rizzolatti, lui a fait remarquer que les neurosciences découvrent enfin ce que les gens de théâtre savent depuis toujours.
Les travaux récents révèlent les mécanismes physiologiques de l’apprentissage en nous éclairant sur les processus de motivation, d’attention, de mémorisation et sur l’efficacité et la pertinence des méthodologies et des diverses approches pédagogiques employées. Il ne s’agit plus d’hypothèses mais de données scientifiques dûment contrôlées et validées. La meilleure manière d’enseigner doit donc recourir aux méthodologies les plus compatibles avec notre fonctionnement cérébral. et renoncer à celles qui l’abordent à «rebrousse-poil». De même, les relations et les interactions enseignants/apprenants doivent être dépoussiérées ; le meilleur exemple en est le cours magistral qui peut être refondé en s’inspirant du théâtre.
Les applications pratiques de la neuroéducation et de son corollaire la neurodidactique intéressent tous les domaines de l’apprentissage : lecture, écriture, langues étrangères, mathématiques, rmusique, conception et organisation de la salle de cours, etc.
Les avancées des neurosciences ont permis aussi de comprendre les mécanismes des troubles de l‘apprentissage (les DYS : dyslexie, dysorthographie, dyscalculie) ; ils sont secondaires à des perturbations neuronales survenant dans la petite enfance favorisées dans 60% des cas par des facteurs génétiques associés à un rôle néfaste de l’environnement. Les troubles de l’apprentissage cohabitent volontiers avec la dysphasie, la dyspraxie, les troubles de l’attention avec hyperactivité et même avec des troubles autistiques. De nouvelles pistes de traitement efficace en découlent.
Nous pouvons affirmer pour conclure que la neuroéducation apporte des éléments de réflexion très intéressants qui, exploités à bon escient, améliorent considérablement nos possibilités pédagogiques. Rien n’est imposé mais, de même qu’un médecin exerce son art, car la médecine et l’enseignement sont des arts, en se tenant au courant des dernières découvertes de la science, un enseignant se doit d’agir de même, tout en conservant sa liberté pédagogique. Conserver bon sens et esprit critique évitera tout excès et permettra à cette démarche de rester naturellement rationnelle et efficace.